LE DEVOIR: Comment encadrer un paysage hypothétique

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Un nid d’hypothèses

Catherine Bolduc présente une série de dessins à l’aquarelle percutants et dynamiques qui explorent le côté obscur de la vie, ces peurs et ces sensations de vide

3 mai 2014 | Jérôme Delgado | Arts visuels
Catherine Bolduc, Comment encadrer un paysage hypothétique, 2014, aquarelle et peinture acrylique sur papier, bois et mur
Photo : Jean-Michel RossCatherine Bolduc, Comment encadrer un paysage hypothétique, 2014, aquarelle et peinture acrylique sur papier, bois et mur
Comment encadrer un paysage hypothétique
Catherine Bolduc, galerie Thomas Henry Ross art contemporain, 5445, avenue de Gaspé, local 423, jusqu’au 7 juin.

Après deux expositions dans son premier espace permanent, la galerie Thomas Henry Ross art contemporain s’illustre déjà comme un lieu unique. Les dimensions de sa seule salle de diffusion en font, en soi, une galerie petite, mais ouverte à des expériences de plus en plus rares.

 

Dans ce local perdu du nouveau pôle de Gaspé — on est au 4e étage, loin du rez-de-chaussée et de son fastueux m’as-tu-vu —, l’exposition devient un véritable enjeu d’espace et de réflexions. Elle ne propose pas une simple mise en place d’oeuvres sur les murs. Elle se pose comme un lieu imaginaire, un ailleurs fictif et intime, qui favorise la proximité avec les oeuvres. L’aspect marchand de l’entreprise, surtout quand le galeriste n’y est pas pour faire son speech, s’est, quant à lui, volatilisé.

 

Catherine Bolduc est la première à tirer bénéfice de la situation, elle dont la présence ici suit l’expo collective inaugurale. Joliment intitulé Comment encadrer un paysage hypothétique — un projet subséquent pourrait demander « comment vendre » une telle hypothèse —, ce solo a des airs d’installation in situ, créée et pensée pour ce lieu. Il regroupe une série de dessins à l’aquarelle, tous de 2014, percutants et dynamiques.

 

Qui sait si, dans un autre contexte, dans un autre espace, ils auraient eu le même effet ? Tels que présentés ici, ils provoquent du mouvement et de la profondeur similaires à ceux d’un tourbillon. La surface de création semble incapable de contenir toute cette énergie, et c’est particulièrement le cas de la seule oeuvre sur fond noir (trois autres sont sur fond blanc), complétée par une intervention murale, à l’acrylique. Du coup, le cadre, noir lui aussi, disparaît, avalé par son environnement. L’interrogation de l’intitulé s’avère dès lors un défi très concret.

 

On reconnaît, dans ces quatre oeuvres, la touche Bolduc : un entrelacs de lignes, une accumulation de formes et une organisation sinon pyramidale, du moins en élévation, comme autrefois, assez proche d’un territoire vaste et complexe. L’aspect féerique et précieux de celle qui a maintes fois représenté le jeu, le désir et le rêve laisse place cette fois à des compositions plus ténébreuses, voire terrifiantes.

 

La palette de couleurs est déjà plus sombre. La question de départ, sujet très pictural, se traduit par des compositions où tout éclate, déborde, s’éparpille. On a l’impression que plus rien n’est contrôlable et que le néant, ce noir profond, prend le dessus et le prendra là où il ne domine pas encore.

 

Comme à son habitude, Catherine Bolduc a cherché à exprimer des émotions très personnelles vécues au quotidien. Dans son texte de présentation, elle parle d’une« sensation de vide sous [ses] pieds », sensation provoquée par la lecture d’un article de journal.

 

Le projet jongle avec une série de dualités : le noir et blanc, oui, mais aussi cette impression d’action non contrôlée, geste cher aux automatistes et associé aux pulsions intérieures, versus un soin pour des menus détails. Le motif du miroir, si propre à l’artiste, surgit ici et là, notamment à travers la répétition de formes ornementales, quand ce ne sont pas des « chevelures ondulées » qui dessinent un visage. Lorsqu’on arrive à lire « une face cachée » dans le camouflage du dessin, on comprend que c’est ce côté obscur de la vie, ces peurs et ces sensations de vide, qu’on essaie souvent de taire, qui sont le sujet de l’expo.

 

Quelque part, la galerie format poche gérée par Jean-Michel Ross titille son monde de manière similaire, avec de sincères appréhensions devant tous les pièges qui sous-tendent le marché de l’art. Les rêves de grandeur la feront sans doute un jour sortir de son local camouflé, qu’elle partage avec la revue Espace sculpture. D’ici là, il faudra profiter de tous les paysages et oeuvres hypothétiques qu’elle proposera.

Collaborateur

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