Publié le 13 novembre 2014 à 12h57 | Mis à jour le 13 novembre 2014 à 12h57
S’amuser à déformer la réalité
Steve Bergeron
La Tribune
(SHERBROOKE) Dans la vie, on se raconte souvent des histoires. Parce que ça nous rassure. Parce que la réalité est souvent trop implacable. Parce que l’autorité que la science et les médias semblent imposer peut devenir lassante et tuer l’imagination. C’est plus amusant, par exemple, de croire à l’astrologie plutôt qu’à la sélection naturelle, aux anges plutôt qu’au vide, à la conspiration plutôt qu’à l’explication la plus simple.Catherine Bolduc, elle, a décidé de se servir des petits scénarios nés dans sa caboche pour créer. La plupart du temps, ses oeuvres sont de grands formats, parce qu’ils permettent encore mieux au visiteur d’y plonger et de s’y perdre. Les enchevêtrements et foisonnements labyrinthiques qui caractérisent les dessins de son exposition La matière sombre et autres paysages hypothétiques, au Musée des beaux-arts de Sherbrooke, sont justement d’excellents outils pour se couper un moment de la réalité.
« Ce n’est pas un jugement que je porte. Je constate simplement que, nous, les humains, avons besoin de discours qui nous rassurent, que la mémoire se mêle parfois à la perception… Je m’intéresse à la façon dont cette subjectivité intervient dans notre vision du monde », résume l’artiste montréalaise, avant de donner comme exemple la réalisation de la pièce Comment encadrer un paysage hypothétique, une intervention picturale in situ, caractérisée surtout par l’immense gouffre noir qui semble s’ouvrir à même le mur.
« Un matin de septembre, alors que je lisais un article dans le journal au sujet de récentes découvertes en astrophysique, j’ai fait l’expérience d’une étrange sensation de vide sous mes pieds. Comme si le sol s’était soudainement évaporé. L’article portait sur l’hypothétique matière sombre, une matière impalpable et invisible à l’oeil nu qui composerait néanmoins 80 pour cent de l’univers. L’espace autour de moi était dorénavant envahi d’une matière mystérieuse qui échappait à mon regard. »
« J’ai poursuivi ma lecture et, peu à peu, le vide sous mes pieds s’est tranquillement rempli. Puis, cette sombre matière s’est mise à proliférer de manière exponentielle. Il m’a semblé que bientôt je n’arriverais plus à discerner le paysage environnant. J’avais perdu mes repères. »
Montréal et l’avion perdu
Autre exemple : lorsqu’est survenue la disparition du vol de la Malaysian Airlines, Catherine Bolduc s’est rendu compte que la zone de recherche, dans l’océan Indien, était l’antipode exact de Montréal. Pire : un débris flottant montré aux nouvelles avait la même forme que l’île de Montréal, mais inversée, comme dans un miroir. Il n’en fallait pas plus pour que sa folle du logis s’emballe et s’imagine un lien entre les deux lieux.
La sculpture Antipodale, de type ready-made, est ainsi un mélange d’émerveillement et d’angoisse. L’oeuvre a l’aspect d’une île qui semble tout droit sortie d’Alice au pays des merveilles, mais le recouvrement noir (des algues nori, habituellement cuisinées en makis) et l’apparente précarité du montage renversent cette perception.
Catherine Bolduc avoue qu’elle s’est en partie inspirée du lieu d’exposition pour créer. « Les artistes ont toujours le fantasme du cube blanc, mais lorsque j’ai vu les dorures de la salle, ici, j’ai fait wow! D’autant que, dans ma démarche, j’essaie de réhabiliter l’ornemental, évacué par l’épuration du modernisme. »
VOUS VOULEZ Y ALLER
La matière sombre et autres paysages hypothétiques Catherine Bolduc
Musée des beaux-arts de Sherbrooke
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S’amuser à déformer la réalité | Steve Bergeron | Arts 2015-01-28 13:25
Jusqu’au 25 janvier 2015
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