Une fête auréolée de mystère
Le centre Clark célèbre 27 ans de diffusion artistique

Société secrète
Au Centre Clark (5455, av. de Gaspé, local 114), jusqu’au 20 juin.
Une communauté, une gang, un clan, une meute ou, selon les mauvaises langues, un cercle fermé et exclusif. Les qualificatifs varient, mais tous évoquent l’idée qu’au centre d’artistes Clark n’entre pas qui veut. Pour en devenir membre, il faut être invité, soutenu et même parrainé. L’exposition Société secrète, faste fête qui regroupe 43 artistes sur la cinquantaine qui portent le sceau Clark, célèbre 27 ans (!) d’une vie à conspirer en groupe serré.
On ne fait rien comme ailleurs chez cette entité de l’avenue De Gaspé. C’est avec un malin plaisir qu’on s’enorgueillit d’avoir manqué le bateau du 25e anniversaire à cause de l’organisation du Pôle de Gaspé. Deux ans plus tard, voilà l’expo anniversaire digne du statut de Clark : grande et imbibée de mystère.
« On joue le jeu, on assume ce qu’on reproche à Clark. L’expo parle de la mythologie autour du centre », dit Roxanne Arsenault, la coordonnatrice générale et artistique.
À deux jours du vernissage — rebaptisé Soirée initiatique —, désordre et excitation s’entremêlent. Des choses restent à peaufiner, notamment le diagramme généalogique de la famille, celui qui dévoilera qui a parrainé qui en ce premier quart de centenaire clarkien. On y discutait fortement de l’emplacement exact des générations arrivées après l’an 2000, celles des Yann Pocreau et autres feu Mathieu Lefèvre.
Carte mystère
Une chose cependant était déjà notable, confirmée de vive voix par la coordonnatrice à la programmation : les oeuvres ne seront pas identifiées aux noms de leurs auteurs. Le mystère est à ce point un moteur qu’un artiste a glissé, incognito, sa proposition sous la porte.
« On a même failli ne pas diffuser de communiqué », dit Roxane Arsenault, avant de tendre la carte de visite de l’expo : toute noire, comme il se doit dans les circonstances, elle n’affiche nulle part le nom du centre. Les initiés et les curieux finiront par trouver de quoi il s’agit, mais à Clark on est fier de cette carte mystère que certains émissaires sont allés jusqu’à distribuer à la Biennale de Venise.
Au rendez-vous : leurres et trompe-l’oeil, visibles même de l’extérieur de la galerie. La porte arrière, celle qui mène au corridor où l’on trouve les autres centres d’artistes du Pôle de Gaspé, a été recouverte de la photo d’une autre porte, celle du Clark des années 1990, alors qu’il logeait au centre-ville.
Avec 43 noms sur l’affiche, l’expo ne pouvait être que de grande taille. Tous les coins et recoins de la galerie, ou à peu près, sont occupés, y compris un entre-deux-murs habituellement réservé au filage électrique. Installations monumentales, interventions plus discrètes, photos isolées ou en mosaïque, sculptures murales ou sur pied, il y aura de tout, y compris des fanzines, des performances et un projet d’art postal.
Le poste audio rassemblera une série de témoignages autour des ouï-dire et des mythes clarkiens. Bien sûr, les voix auront été trafiquées, à la manière d’une « enquête sur Canal D », selon Roxane Arsenault.
Des fuites partout
Mais au-delà des racontars, qu’en est-il vraiment de cette « société secrète » ? Les points de vue divergent car, comme le dit Catherine Bolduc, même à Clark ça ne parle pas à l’unisson.
« J’aime le côté obscur, mystérieux, de la société secrète. L’idée de l’assemblée, c’est une utopie. L’idéal, quand on se réunit, serait que tout le monde ait la même vision, la même idéologie, les mêmes rêves », dit celle qui est clarkienne depuis 1997.
Patrick Bérubé, auteur d’oeuvres qui se moquent des clichés, voit dans le thème de l’expo une raison de parlerenquêtes et espionnage. « Il y aura des fuites, dans tous les sens du terme », dit celui qui aime bien apporter une dimension ludique à l’art.
Pour Marie-Claude Bouthillier, qui aura pour l’occasion apprivoisé l’écriture codée des Templiers du Moyen Âge, l’appartenance à un groupe est importante pour l’entraide et l’échange d’idées qui prennent place. Il ne s’agit pas « [de bâtir] une secte, dit-elle, mais un projet collectif. Clark, c’est l’art en train de se faire. Avant le côté esthétique, il y a le poïétique, l’action artistique, les préoccupations par rapport à la matière, à l’espace, au temps ».